ETHERNELLE - la plume des myzomèles

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                                  ETHERNELLE

                             La plume des myzomèles


                           La plume des myzomèles

Rendez-vous au terrain des vagues

Incessamment

Ingénue abandonnée

Lèvres rouges

Arlequinade
Monochrome édénique
Sacrifiée
Tes reins vagues

Mirage

La ronde des myzomèles

Ethernité




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© Photographie Philippe Pubert.

                     Rendez-vous au terrain des vagues

  

Je suis une jeune fille en robe rouge

Vous me verrez proche des fontaines

Je bois leurs paroles éclaboussantes

Vous me surprendrez près du clocher

Comme une madone urbaine qui virevolte

Vous me chercherez sur les traces des tramways

Nommés désir, nommés voyages éphémères

Vous me devinerez dans les sous-sols

Où crépitent les vieilles pierres en sourdine

Vous me croiserez sur les ronds points

Des hasards, les rondes saltimbanques

Vous me courtiserez dans les squares lumineux

Là où les mésanges bleues tutoient la ferraille

Vous me suivrez face au vent des librairies

Celles qui chantent leur légende de papier

Vous me remarquerez sur les avenues ocres

Dans mes va-et-vient vers l'avenir verni

Vous me reconnaîtrez à l'arrêt de bus voisin

Un coquelicot à la main, du macadam à mes pieds

Vous me fixerez le long des quais quittés

Là où le fleuve envoûte les pavés et leur plage

Vous m’entendrez soulever les ballons de métal

Jusqu'au sommet des tours marbrées de Babel

Vous me rejoindrez vers les carrefours de l'infini

En dansant le long des caniveaux de soleil

Vous me porterez au-delà des hangars désaffectés

Dans des bulles de verdure qui résiste aux chantiers,

Vous m’épouserez quelques secondes dans ma robe rouge

 Sur un banc pour nos noces de ciment et d'opale.



  celine-et-sandre-artistique-229.jpg© Photographie Sandra Boyer.

                     Incessamment

 

 

La moue du ciel électrique

L'amour d'ailes élastiques

Se répondent incessamment,

Sinueux comme des escaliers,

Comme des paupières qui soulèvent le monde.
Je regarde droit devant moi
Mon enfance à perte de vue. 

 

Sentir dans sa lymphe l'infinie enfance,

S’évaporer comme la part des anges,

À l'abri dans vos yeux redevenus jade,

Je veux prendre la couleur de vos insomnies.
Je regarde au delà de moi
Mon enfance à perte de vue. 

 

Les battements de mon coeur extra-terrestre

Imitent le va-et-vient des vagues océanes.

Naître partout, n'être qu'ici.

Des plumes, des plumes et des plumes
Nous en dispersons par pleines lunes
Tout autour de nous.
J'ai vingt ans pour toujours.
Je ne vais jamais mourir.
Je suis une fillette.
 

Parfois je regarde toutes les photographies consumées

Dans un placard dont la poussière s'en fait le Cerbère.

Parfois je reste une jeune demoiselle aux courbes

Non déchirées par les crocs des pendules.

Parfois je me surprends à rire comme un été

À me donner et à m'oublier incessamment

Comme une pluie fine de baptême sur le front

À demander à la terre de nous éblouir

Jusqu'à l'évanouissement attendu.
Nous sommes en apesanteur
Des colchiques au bout des cheveux. 

 

L'amour se cache partout incessamment,

Entre les enfants qui érigent leur bonhomme de neige,

Entre les manchots empereurs qui débutent leur parade,

Entre les fragiles primevères gorgées de nouveauté,

Entre les saumons qui remontent à la rivière primordiale,

Entre les montgolfières qui imitent les sternes en migration,

Entre les lignes écrites sur des feuilles immaculées,
Entre deux fronts trop ridés
Entre des mains tendues vers l'horizon
Entre quelques silences 

Incessamment.



Nell-et-C--222.jpg                             © Photographie Nell Aucoin.

               Ingénue abandonnée
                       
                                                            Astarte liquide, une épée dans le ventre

 

Voyez je me tais et pourtant

Le fluide des mots coule en moi.
Ingénue, un génie à l'âme,
Candide, quand Didon rencontre Enée,
Aînée amoureuse, reine de Carthage. 

Il imprègne sa couleur couleuvre en moi

Comme un sang empourpré de rêves,

Comme une lymphe de songes anguilles,

Commune nymphe qui murmure en moi.


Vous me verrez marcher sur les toits

Tous les soirs d'été, sur les tuiles

De vos têtes de marbre et de désert.
Je fais la cour aux myzomèles.


Vous me révélez, vous me réveillez,

Vous me rêvez, vous me verrez,
Avec les belles ailes des myzomèles, 

Flotter sur les fils barbelés.
Ma peau déjà torturée.

Je façonne les teintures sereines
J'efface les tortures humaines

Sur lesquelles nous devons tous cracher

Pour les nettoyer encore et encore.


Enée s'enfuit, son père foudroyé,
Blessé sur un nuage, il pleut du sang.
Et je suis déjà en larmes.
Et je suis déjà en flammes.

Enée s'évade et navigue au loin
Et ingénue je nie mais nouée je me noie.
Transpercée, je ruisselle et me vide
Je m'habille de myzomèles écarlates
Et ma robe de sang dégouline
Jusque dans les enfers.

Reine de Carthage, porteuse du carnage,
Voyez je me tais et pourtant

Le fluide des maux coule en moi

Comme une vieille marée noire.



*  Astarte, ou Ishtar, dérivée de la déesse de Babylone, généralement assimilée à la déesse Mésopotamienne Innana, est une déesse phénicienne présentant un caractère colérique. Didon est divinisée par son peuple sous le nom de Tanit et comme personnification de la grande déesse Astarté. Pour en savoir plus, cliquez ici.
* Didon est la fondatrice légendaire et première reine de Carthage. La principale source du mythe de Didon vient des chants de l'Eneide dans lesquels le poète latin Virgile décrit les amours de Didon et Enée. Énée s'enfuit avec son père Anchise (boiteux car foudroyé). Une grande passion naît  avec Didon mais se voit interrompue par les dieux de l'Olympe qui rappellent au héros troyen sa destinée. Lorsque Énée quitte Carthage, Didon, incapable de supporter cet abandon, préfère se donner la mort avec une épée qu'Énée lui avait laissée. Selon d'autres versions, elle s'immole. Lorsque ce dernier arrive aux  Enfers, il parlera à son fantôme mais celle-ci refusera de lui pardonner son départ.
* Les myzomèles écarlates sont des oiseaux. Voir une photographie ici.

 


 

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           © Photographie Philippe Pubert.
                                      
                                     Lèvres rouges

 

Si tu partais, je devrais tirer

Un trait blanc sur l'éternité.

Mais le rouge de mes lèvres

Ranimera les braises du passé.


Le soleil se glisse contre mes pommettes

Je rougis de ses baisers d'invitation

Qui me mettent au pied des murs

Comme toutes ces framboises trop mûres

Gorgées de lumière et de saveur,

Une nouvelle naissance à chaque souffle.


Contre la mort, contre la mare,

Je me blottis dans une brume de murmures,

Une famille de lucioles tout autour de moi,

Quand je suis en danger de noyade

Et que mon visage ressemble à celui d'Ophélie
Quand s'inclinent les roseaux.


J'ai foi en toi mon autre,

Quand je balbutie, quand je bats des cils,

Tu bats en retraite, tu bats des ailes.
Je suis sur le pont.
Je débute la traversée. 


À chaque escalier, à chaque doute,

À chaque blessure, à chaque larme,

À chaque bêtise, à chaque escalier,

Je suis au bout du couloir sans fin,

Au bout de ce tunnel de silence,

Les bras ouverts, les lèvres rouges,

Pour les millénaires à venir.


Je pense être une Ophélie ailée
Je pense être éthernelle 

Tu me le confirmes

À chaque étreinte.
Plus jamais étroite.

* Référence au poème Ophélie de Rimbaud - " Le vent baise ses seins et déploie en corolle/ Ses grands voiles bercés mollement par les eaux;/Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,/ Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux." 




water--49-.jpg                                © Photographie Frédérick Madsen.

                                        Arlequinade


                                                                                                       Je hais le joueur avide, arlequin.  


La trotteuse, index vertigineux,

Racle nos rides,

La peau comme des gommes croquées.
L'horloger a tout décidé.

Elle aspire la fourmilière,

Des hommes qui fourmillent
Et se débattent, petites blattes.
J'émerge juste de l'eau
Et déjà c'est l'immersion. 


La trotteuse d'acier,
Tour Eiffel effilée,

Tour de Babel bibelot,

De son index d’acier nous dresse

Vers le zénith.


Arabesque suspendue,
La trotteuse trotte, 

Nous perdons nos papilles d’évier bouché,

Ce temps s’écoule et coule

Sans jamais coaguler.
 

Nos barbes de barbelé

S’épluchent comme des prunes mâchées

Sous la trotteuse, index vertigineux.
J'émerge juste de l'eau
Et déjà c'est l'immersion. 


* L'horloge est le dernier poème de Baudelaire de la section « Spleen et Idéal » qui aborde le thème du temps, classique dans la poésie romantique et dans Les Fleurs du Mal - vers extraits "Souviens-toi que le Temps est un joueur avide / Qui gagne sans tricher, à tout coup! c'est la loi./ Le jour décroît; la nuit augmente; souviens-toi!/ Le gouffre a toujours soif; la clepsydre se vide."

 



033_31A.jpg                     © Photographie Sandra Boyer.

               Monochrome édénique

  
                                              Now as I was young and easy under the apple boughs

        
         Ses mains glissent sous ses paumes,

         Elle a croqué chacun de ses pépins,

         En a savouré jusqu’à la houle épinière. 
         
                             Eve éveillée.


         Le jardin a déridé ses rubans herbeux

         Et mouché chaque narine de son tilleul. 
        
                             Eve évidemment évincée. 


         L’horizon se dresse en une écharpe dorée,

         Plus elle tourne, plus il l’entoure,

         Non il ne l’étrangle pas,

         Il l’entoure c’est tout. 
         
                             Eve évacuée. 
         
         Les vignes se sont emmiellées

         Leur couleur lui sucre les veines. 
        
                             Eve évanescente.


         Les arbres, boisées boucles de gazon,

         Sont unijambistes et rient sur un pied

         Pied d’escarre, piédestal,

         Mais on les connaît leurs mille orteils

         Encrassés dans la terre humide. 
        
                             Eve évasive et évitée. 


         Nous, nos deux jambes, petits moulins à vent,

         Se laissent submerger par la chute qui serpente. 

                             Eve évaporée. 

        L’aube se racle la gorge,

        Un peu enrouée par les bronchites nocturnes. 

                             Eve évanouie. 
           
        Eve, tes mornes pommettes sont moins roses,

        Et bien moins juteuses,

        Adam a dansé dans ses fiancées, muses muselées,

        Tu tombes, seule.

                             Eve éventrée.

* Premier vers du poème Fern Hill de Dylan Thomas. Pour lire le poème, cliquez ici.




A la Maréchale (49)© Photographie Philippe Pubert.

                           Sacrifiée

 

Et les esprits du vent, djinns complices de mes paniques,

Me cambrent sur des pierres rondes et rugueuses.

Ma seule reconnaissance est de me laisser voir le ciel

Et je pleure en silence, la cambrure me désarticule.

Ils m’ont fait danser pendant trois jours

Au milieu des peuples de la pluie et de la forêt,

Ils vont m’éventrer, je le sais, je le sens en silence.

Le fantasme des esprits du vent est de me déraciner,

D’ouvrir mes entrailles et de les lancer au vent.

Je suis la jeune fille sacrifiée, d’où doit jaillir le sang

Pour régénérer le monde, le purifier, le nourrir.

Et j’ai peur, peur immense, peur intense de mourir.

Ils murmurent que je suis la femme de sel

Sans doute à cause de mes larmes ou des vagues de l’océan

Que j’emprisonne en moi depuis des millénaires maintenant.

Ils chantent que je suis une guerrière qu’ils brassent et embrassent.

Je suis démunie. Je suis démolie.

Je hurle. Ils cessent. Ils blessent.

Ils ne me décapiteront pas, ils aiment mon visage,

Ils ne m’éventreront pas, ils veulent me faire un enfant.

Le sang qu’ils veulent voir jaillir sera celui de la naissance

Je suis apaisée et le vent me caresse

Il m’enchante et en quelques secondes

J’enfante soudain le monde.
Je deviens la femme de sel
Celle qui marche au bord de la mer
Et qui lui donne naissance en même temps.  
 

 



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                      © Photographie Sandra Boyer.

                         Tes reins vagues


A woman drew her long black hair out tight
And fiddled whisper music on those strings


Ton regard décent descend tel un flambeau incandescent,

Tempête charnelle, pluies de sueurs amères,

Me voilà voilée dans cette ville.
Voile de mariée.

Dans un grenier aux odeurs de muguet,

J'ai retrouvé cette couronne de mariée,
Celle de mon ancêtre,
Elle me rend plus solennelle.

Et plus splendide.
 

Je parle seule pour trouver mes mots,

Débit de débats débiles,

Combat de combines pour être tienne.
Devenir l'élue, la danseuse aux pieds nus.

Celle qui t’a ému.
Je t'aime Galaad.
 
Dehors la bruine couvre les plaines abimées,

La brume enrhume l’unanime humain,

Ne perdons pas de vue la vie, le vrai vent d’ange.

Où es tu mon Roi Pêcheur? Je suis fébrile.
Tu es blessé et de ton sang coulent des poissons.
Même la terre pleure des gouttes craquelées.
J'avance couronnée,
Tremblante dans ce désert de caravanes face à nous,
Terrain vague habillé de lampions.
Pour nous.
 

Ton absence sent l’éther à plein nez bouché par les larmes,

Cela me rappelle l’hôpital quand on m’endormait,

Tu es l’exil de mes ailes du désir des ivresses.
Galaad, faucon de soleil.
La petite danseuse aux pieds nus est perdue dans cette terre gaste,
Elle cherche des yeux tes épaules disparues. 

Je cherche partout.

Elle veut t'emporter sur sa nef merveilleuse
Et te garder à jamais.

En plein automne, les lampions rouges sont de mise,

Toute feuille morte se chamaille la verdure, la nervure,

Et je vomis sur la naphtaline de la vieillesse aux aguets.
Ma couronne de mariée dégringolée sur un vieux carrelage,
J'ai coupé mes cheveux pour mieux sentir le soleil
Dans mon esprit égaré. 


Quatre murs et je me blottis contre ta sphère,

Velours anaconda de mes plus lents élans.

Nous sommes réunis contre l'horizon en célébration
Pour nous.

Même les cumulus congestus te le braillent,
Pour ne plus te voir comme un aveugle, 

Envole chacune de mes petites cages.
Ma couronne de mariée a repris ses tons bois,
J'avance au milieu des lampions, la musique aux yeux.
 

Ta présence, prison de ma raison,
Maison de mes passions,

M’envahit incessamment sous peu.

Ma robe remplie de chardons ardents
Est démunie pour notre union.

Galante pour toi Galaad.

Nous mélangeons nos sangs,
Promesses de gamins,
Des tournesols coincés dans nos mains.
Liées.

Je ne suis pas folle mais fille,

Fille pas perfide, pas fade, pas facétieuse.

Tu me colles à la peau, pauvre de moi,

Face à face avec l’amour,

Sempiternelle sensation,

Echec et mat.

Mate de peau.
Mât de cocagne.
Je construis de petits châteaux de sable,
Je sème quelques bulles chargées de moucherons,
Et je vois ma couronne tomber sur ce terrain vague.

Une enfant arrive en courant et la vole sous nos yeux,
Elle est allée s'enfermer dans mon ventre,
Tes reins vagues,
Mon ventre sous-marin. 

Et les lampions plus rouges encore.

Les chardons plus ardents.

Les mains bien plus liées.
Les secrets dévoilés.



*A woman drew her long black hair out tight/ And fiddled whisper music on those strings, citation du poème The Waste Land de T.S Eliot.
* Le Roi pêcheur ou Roi blessé (en vieux français le « Roi Méhaignié ») figure dans la légende arthurienne comme le dernier d'une lignée chargée de veiller sur le Saint Graal. Le récit de son histoire varie largement, mais il est à chaque fois blessé aux jambes ou à l'aine, et incapable de se mouvoir seul. Depuis sa blessure, son royaume semble partager ses souffrances, comme si l'infirmité du roi rendait la terre stérile. C'est le mythe de la Terre Désolée (en vieux français Terre Gaste, à rapprocher de l'anglais « Waste Land » comme le poème de T.S Eliot sur lequel Céline Boyer a mené une maîtrise). Selon la prophétie, Galaad découvrira le Graal et ramènera à la vie la Terre désolée. Son nom vient du gallois Gwalchaved : « faucon d'été ». Une aventure qui est liée à Galaad est celle de la « Nef merveilleuse » dans laquelle il voyage dans un premier temps en compagnie de Celle-qui-jamais-ne-mentit, Bohort et Perceval.




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                               © Photographie Benoit Pradeau.

                  Mirage

   

                                                                Je ne suis qu'une demoiselle
                                                                Mais je marche sur le Chemin des Dames.

Adossés à des cactus,

Les hommes blessés s'envolent,

Les épines n'empaillent pas

Les ailes sans matière.
Fata morgana
Je vois des mirages
Et le monde se trouble sous la pluie
J'ai une ride de compassion.

Je suis aspirée vers le passé,

Dans des tunnels bien trop sombres.
Peau aime, poème.
  

Je reviens d'un voyage vers l'enfer 

D'où je n'ai jamais bougé.

Et sur mes épaules frêles

Règne un silence dans le village de Soupir.

Je suis au pays de neige,
Des mirages par poignées,
J'avance dans des guenilles
Mais je me sens quand même astrale,
Poéphémère. 


Il faudrait me réexpliquer

Ce que l'homme a dans le crâne

Pour accoucher d'autant de drames

Pour un ridicule lopin de terre.
Pour la gloire des fusillés.
Poaimante moi.
Je m'enroule dans des mirages,
Toutes ces gueules cassées qui gueulent
Me glacent le sang. Les pauvres.
Je voudrais prendre leurs cicatrices
Dans mes petites mains gercées
Et y dessiner des mirages.
A la place.
  

Je passerai un peu d'eau sur leurs yeux
La rosée offrira ses mystères

Personne vraiment ne les écoute

Mais ce soir j'entends surtout les secousses

De ces maintes vies qui dégringolent.
Je sais quelles blessures ils endurent,
Séquelles profondément dures.
Je porte à mon sein un armistice,
Des interstices de beauté
Que je flanque sur leurs cassures,
Flaque d'amour dans laquelle je patauge
Avec des bottes de sept lieux.
  

Je cours au milieu des tranchées
Traversant le Chemin des Dames.
Je sème des aigrettes dans la boue,
Elles décrottent l'histoire de leurs ailes

Et je décrète que ces oiseaux soignent,

Des myzomèles au vol qui cautérise.
Mirage peut-être d'être heureuse  

Mais la journée offre ses rires

Et l'amour imite encore le lierre

Là où la porte reste ouverte.
La boue toujours sur mes menottes,
Je porte sur mon front d'anciens soldats
Même si j'ai du rose aux joues dans mon siècle,
Mais comme eux je n'ai que vingt ans.

  * La bataille du Chemin des Dames a lieu en avril 1917. Il neige à ce moment là, même en avril. Le 17 avril il pleut en continu. Il y a les tranchées, le gel, la boue, la pluie, les obus. Face à ce combat d'épuisement, les mutineries commencent. C'est un échec presque total et surtout un réel massacre. 
*  Soupir est une commune française, située dans le département de l'Aisne.


 


Au-Lac-d--Hourtin--61-.jpg© Photographie Philippe Pubert.

                                    La ronde des myzomèles

 
                  J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre


Elle est assise, occupée à coudre ce que sa langue ne dit plus,

Le filet de sa langue tranchée devient le fil pourpre de son linceul.


Elle oublie son odyssée intérieure perdue, mutilée et seule

Dans une avalanche de silence et de gestes jamais accomplis.


Certains l’ont nommée Philomèle, d’autres Pénélope,

Mais je sais que sa couture suture le monde évanoui en ruines

Et j’ai confiance en elle, elle aurait pu être ma mère.


Parfois la nuit, des colverts lui servent de robe d’émeraudes,

Et son chant se tisse par des points rouges et flamboyants,

Des braises de son feu sacré jamais éteint, étincelles de solitude.


Elle dévide des toiles de son ventre arrondi et immense,

La gorgone n’ose même pas la pétrifier dans cette position,

Dans cette posture de lieuse, de fileuse ou de moire.


La gorgone n’ose déverser sur son torse des araignées noires,

Elle tisse bien mieux le tulle que les tarentules funambules,

Et resserre mieux ses quenouilles dorées quand la nuit s’épaissit.


Elle est lumineuse comme une poupée couronnée d’épines,

Elle ressemble à la ronde des myzomèles qui virevoltent.


Je la connais sous le nom de myzomèle écarlate,

Le visage magenta et les ailes fines, elle chante de l’intérieur,

Ma ventriloque musicienne, myzomèle écarlate.


Rentrer dans sa ronde, c’est tutoyer l’invisible,

C’est caresser le visage d’une madone ordinaire,

D’une enfant muette qui ressemble à un oiseau,

Que je ne connais pas encore ailleurs que dans mes songes.


 

  * J'ai une pitié immense pour les coutures de son ventre, vers extrait du poème Zone d'Apollinaire. Ce poème sert d'épigraphe à ce recueil Ethernelle.






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© Photographie Philippe Pubert.

               Ethernité

 

Les oiseaux sont éthernels

Ils ramassent

Du Damas

Et du grain

De sel

Dans nos yeux.

Ils contournent

De l'oeil

Nos becs de lièvre

Et nos fils à tuerie.

Ils sont oiseaux

Ailes de faïence

Défiance

Au temps qui passe

Damas

Et ce temps gaspille

Et ce temps bousille

Ceux qui gazouillent.


 


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Publié dans Ethernelle

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